Cet animateur propose des activités numériques créatives et valorisantes à des victimes de troubles psychiques.
Le numérique serait-il une forme de remède aux troubles psychiques ? On n’en est pas encore là. Mais Pascal Gault est convaincu que les échanges sociaux permis par les nouveaux usages du Web peuvent contribuer à résoudre les difficultés personnelles, relationnelles, économiques et sociales qui en découlent.
Règles. Depuis deux ans, cet animateur mène une expérimentation en ce sens à Rennes, au sein d’une structure originale d’aide aux personnes souffrant de problèmes psychiques, la bien nommée Atypick. «J’avais l’intuition que l’informatique pouvait favoriser l’insertion économique et sociale des personnes souffrant de troubles psychiques, raconte-t-il. Mais sans trop savoir comment.» L’association l’Autre Regard (1), qui propose ateliers et activités à un public en grande fragilité mentale dans la capitale bretonne, va lui en donner l’occasion. Et lui permettre, avec Atypick, de s’appuyer sur les nouveaux médias pour proposer des formes d’expressions personnelles sous forme de blogs, créations graphiques, sites internet, etc. «L’un des problèmes dont souffrent les personnes victimes de troubles psychiques, c’est la stigmatisation mais aussi l’auto stigmatisation, analyse Pascal Gault. Face à l’ordinateur, elles peuvent être elles-mêmes. C’est un outil qui n’émet aucune opinion, aucun jugement. Cela marche ou ça ne marche pas. Quand on a du mal à faire la part entre le subjectif et l’objectif, c’est inestimable.»
Outre les règles intangibles qui régissent son fonctionnement, l’ordinateur présente en effet l’avantage de ne jamais s’émouvoir ni se lasser de son utilisateur. On peut y expérimenter à volonté. Pascal Gault relève aussi la souplesse d’utilisation d’une machine que l’on peut éteindre et rallumer à sa guise sans que cela change une virgule au programme en cours. Une garantie primordiale pour des personnes qu’un rien peut déstabiliser. «Par son côté binaire, l’informatique ramène au réel et a tendance à chasser les angoisses et les incertitudes, avance-t-il. Plus on pratique, moins on fait d’erreurs, c’est très valorisant.» L’échange à distance, l’anonymat que permet le Web sont aussi des atouts précieux pour renouer des liens sociaux. Résultat, après l’ouverture d’un blog collectif comptant aujourd’hui 247 000 visites, les membres d’Atypick, une petite dizaine de personnes, ont réalisé comme des pros les sites web d’une demi-douzaine d’associations artistiques ou socio-médicales rennaises. Le groupe peut s’appuyer sur des bénévoles rodés aux mystères du logiciel, de la programmation et du code. Mais pas seulement. «Le volet initiation et formation au sein même du groupe est primordial», insiste Pascal Gault. Pour les premiers intéressés, l’expérience a en tout cas un avantage majeur : «rompre l’isolement», résume l’un d’eux.
Accent. Avant Atypick, Pascal Gault, 45 ans, toujours sur le point d’éclater d’un rire franc - «je dois avoir l’enthousiasme pathologique», s’amuse-t-il - a suivi un chemin jonché d’embûches. «Je suis un gamin de la banlieue. J’aivu toutes ces misères affectives, psychiques, cette consommation d’antidépresseurs et d’anxyolitiques à tous les étages.» Les débuts scolaires sont difficiles lorsqu’il se retrouve, à 6 ans, après avoir vécu à Montréal, catalogué comme «étranger» en raison de son accent québécois et relégué au fond de la classe. «J’ai très vite compris que la normalité était une valeur très relative», commente-t-il. C’est aussi à cette époque que son père quitte le foyer et qu’il doit devenir, aîné d’une fratrie de trois enfants et fils d’une mère victime de graves dépressions, «un grand garçon». De déménagement en déménagement, Pascal Gault se retrouve dans une cité à Troyes et affiche un goût prononcé pour le dessin et la photographie. Des passions qui le conduisent à l’école des Beaux-Arts de Troyes, puis à celle de Reims. «A 17 ans, je pensais me diriger vers une activité d’art-thérapeuthe. J’ai lu toutes sortes de livres de psychologie, de psychiatrie, de psychanalyse.» Pascal Gault enchaîne les petits boulots. Gardien de musée, dessinateur dans un cabinet d’architecte, employé de librairie…
En 2004, il décroche une mission plus conforme à ses attentes. Durant quelques mois, il est embauché à la prison de Brest pour y animer des ateliers d’expression artistique avec les détenus. «Cela a été d’une grande richesse. C’est là que j’ai trouvé ce que j’avais envie de faire.» L’informatique, Internet et les nouveaux médias sont devenus la passion de cet autodidacte assumé. Et, des détresses rencontrées en prison, il va passer à celles que traversent les victimes de handicaps psychiques avec Vannes horizons, un groupe d’entraide mutuelle, qui leur propose diverses activités. Une dernière étape avant de rejoindre l’Autre Regard et de lancer Atypick. «L’informatique n’est pas seulement un outil de traitement, conclut-il. Mais ce peut être un formidable outil de réhabilitation, de réinsertion et de rétablissement de la personne dans ses droits et ses capacités à se situer par rapport au monde, à l’espace, au temps, à elle-même, à tout.» Si l’écran peut en plus aider les exclus du système à acquérir des compétences nouvelles et à retrouver une «utilité sociale», c’est tout bon.