ESAT Hors le murs....mode d'emploi...
Les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) ont développé, depuis une vingtaine d’années, des activités « hors murs » afin de proposer à leurs usagers une expérience professionnelle en milieu ordinaire de travail, requérant davantage d’autonomie qu’en atelier et générant aussi une socialisation et un épanouissement plus grands.
« Le hors murs correspond à une évolution globale visant à diversifier les réponses, rappelle Gérard Zribi, président d’Andicat, association de directeurs d’ESAT, de même que les foyers d’hébergement ont développé un accueil en appartement autonome, les ESAT offrent des prises en charge variées et évolutives. » Les travailleurs accueillis en ESAT souffrent pour 90 % d’entre eux de handicaps psychiques, mentaux ou de déficience intellectuelle. « L’expérience du milieu ordinaire permet de côtoyer des collègues non-handicapés, de prendre part à la vie économique, de développer des compétences techniques, du savoir-être, c’est un aspect important de la citoyenneté que nous encourageons », indique Anne-Claire Patriat à la fédération des Apajh, qui gère une vingtaine d’ESAT. « Notre mission n’est pas de faire du placement en milieu ordinaire mais de proposer des activités professionnelles au plus près des attentes et des possibilités de nos bénéficiaires », précise Fabienne Pressart, directrice du Manoir, ESAT de l’association Afaser, à Champigny.
Ainsi, en parallèle de la production en ateliers protégés, de nombreux ESAT organisent des détachements collectifs de main-d’œuvre en entreprise. « Une dizaine de personnes travaillent pour la municipalité à l’entretien des voiries dans des conditions proches du milieu ordinaire, indique Fabienne Pressart, ils sont encadrés en permanence par un moniteur d’atelier mais les riverains les interpellent comme des employés municipaux. » À Taverny, l’ESAT de l’Apajh détache depuis vingt ans une unité de production dans une usine de cosmétiques : « Les travailleurs y vont par roulement pour deux semaines et sont impatients de s’y rendre, de manger au restaurant d’entreprise, de sortir de l’ESAT », ajoute José Fernandès, son directeur. Ce partenariat a permis trois embauches en CDI.
Dispositif Passmo : passerelle vers le milieu ordinaire
La fédération des Apajh a lancé en mai 2009 le dispositif Passmo, en partenariat avec le ministère de l’Emploi et l’Agefiph, afin de faciliter l’embauche en milieu ordinaire de travailleurs issus d’ESAT. Pour un recrutement en CDI ou CDD d’un an, l’entreprise perçoit une aide de 9000 € par an pour un temps plein, versée par l’Agefiph, et l’ESAT perçoit une aide au tutorat de 2100 € par an pendant trois ans, versée par l’Etat. Au-delà de ces aides financières, le dispositif Passmo est sécurisant car il garantit à l’entreprise un accompagnement de l’ESAT pendant trois ans et assure au salarié de pouvoir réintégrer l’ESAT en cas d’échec. L’expérimentation menée dans l’Isère a donné de très bons résultats et conduit à étendre le dispositif à vingt-huit départements
Une formule intermédiaire consiste à offrir une prestation de service gérée par l’ESAT mais ouverte au public. C’est ainsi que Le Manoir gère deux cafétérias à Paris, à l’hôpital de Bon Secours et à l’IRTS : « Nous proposons un vrai service de restauration pour de vrais clients, mais les horaires sont aménagés et les équipes sont toujours encadrées, explique la directrice, cela permet une grande souplesse pour les usagers, qui peuvent alterner quelques heures de travail à la cafétéria et le reste en atelier protégé, par exemple. »
Le « hors murs » peut aussi prendre la forme de détachements individuels en entreprise avec un accompagnement plus léger. « Cela nécessite bien sûr un savoir-être et une grande autonomie de la personne pour se déplacer, respecter des horaires, effectuer seule les tâches qu’on lui demande », précise Fabienne Pressart.
Au Manoir, certains usagers y parviennent après plusieurs années de travail en atelier, d’autres intègrent le milieu ordinaire dès leur arrivée, après un stage dans une entreprise partenaire. Le moniteur définit très précisément les horaires et les missions de la personne – entretien d’espaces verts, ménage, manutention - en fonction de ses capacités et l’accompagne sur le terrain quelques jours pour la prise de fonction. « Le moniteur peut intervenir pour traduire les consignes, faire des fiches, utiliser des dessins, des codes couleur », indique José Fernandès qui dirige deux établissements de l’Apajh. Car du fait de leur handicap, la plupart des bénéficiaires ne comprennent pas les consignes complexes, ont du mal à se repérer dans le temps ou à suivre une procédure mentale. « Pour sécuriser les travailleurs, on essaye de ritualiser les activités, d’alléger les horaires, de prévoir des rencontres avec le psychologue de l’ESAT », ajoute Fabienne Pressart.
Quand la personne est autonome à son poste, le moniteur espace ses visites et reste disponible en cas de besoin. Il fait régulièrement le point avec l’entreprise et le travailleur. « Il faut parfois faire de la pédagogie, expliquer à l’employeur que la lenteur de la personne n’est pas de la mauvaise volonté, qu’il faut lui répéter plusieurs fois les choses. » Le détachement individuel demande un taux d’encadrement supérieur, il faut compter un moniteur pour cinq personnes au lieu d’un pour quinze en atelier. « Même si ça a un coût pour l’établissement, on tient beaucoup à ce détachement, cela fait partie de notre stratégie pédagogique, cela permet aux usagers de prendre l’air, de voir autre chose », indique José Fernandès.
Néanmoins, une insertion en milieu ordinaire n’est pas à la portée de tous : « Les détachements collectifs se font sur la base du volontariat car malgré un encadrement permanent et un transport en minibus, c’est trop déstabilisant pour certains », admet José Fernandès. « Beaucoup de bénéficiaires ont des troubles de la personnalité importants qui rendent quasi-impossible un détachement individuel en entreprise, ajoute la directrice du Manoir, conserver une production en ateliers nous permet de prendre en charge différents degrés de handicaps, sans faire de sélection des usagers. » Car tout le monde n’a pas l’autonomie suffisante pour travailler en milieu ordinaire. « Et même les plus autonomes peuvent avoir besoin de revenir ponctuellement se reposer quelque temps dans un milieu plus contenant, plus rassurant », ajoute Gérard Zribi.
C’est pourquoi les activités hors murs concernent en général une minorité de personnes : à titre d’exemple, dans les ESAT gérés par la fédération Apajh, seuls 14 % de travailleurs sont en détachement collectif et 4 % en détachement individuel. Les ESAT hors murs de l’Adapt constituent un cas particulier : tous leurs usagers, triés sur le volet, sont mis à disposition dans des entreprises ordinaires et une partie est embauchée en CDI (lire l’interview de deux responsables de l’Adapt).
« Attention aux dérives, prévient Andreia Clave, directrice administrative des Chapiteaux Turbulents à Paris, les pouvoirs publics « encouragent » l’insertion en milieu ordinaire à tout prix, à tel point que certains ESAT doivent remplir des objectifs annuels d’insertion, leur non réalisation entraînant une diminution des financements publics. » Andréia Clave rappelle que l’accès au travail en milieu ordinaire est souvent « l’aboutissement d’un projet de vie pour le travailleur ESAT et la résultante d’un travail d’équipe qui pour pouvoir aboutir doit rester en dehors des logiques comptables et quotas d’insertion. »
sources lien social N°961