Handicap psychique et travail: expressions du quotidien
«Pas de problème, je suis à votre service.» Le ton avenant, la voix posée, Olivier Véliotis répond avec assurance à sa clientèle. Il y a trois ans, cet homme de 45 ans a monté sa propre société de dépannage informatique (AMI Pays de Retz), après avoir été salarié dans plusieurs entreprises du Grand Ouest. Rien, dans son comportement, ne laisse transparaître son douloureux passé de malade, happé par la dépression.
Après l’apparition de premières crises pendant le baccalauréat, Olivier Véliotis a enchaîné dix années noires, marquées par six longues hospitalisations. «Je prends un traitement régulier et suis stabilisé depuis quinze ans, explique-t-il. On peut donc dire que je suis sorti d’affaire, même si mes médicaments m’assomment de fatigue.» Mais si ses neuroleptiques lui permettent de vivre presque comme tout le monde, il doit composer avec de lourds effets secondaires : sensation de soif permanente, diminution de l’acuité visuelle, cauchemars, insomnies… Impossible, dans ces conditions, d’enchaîner 35 à 40 heures de travail par semaine.
Depuis quelques mois, il bénéficie du soutien de l’Unité fonctionnelle de formation et de réinsertion (Uffore) de l’association Les Briords, à Nantes. Cette association accompagne des personnes souffrant de troubles psychiques et les aide à reprendre pied après une cure psychiatrique. «Les Briords» accompagne aussi celles qui le peuvent sur le chemin de l’emploi. Un soutien indispensable pour briser les préjugés liés à ce handicap invisible et mal connu du monde de l’entreprise.
L’Uffore a ainsi reçu 217 personnes, adressées par des partenaires du monde de l’emploi et du handicap. Des hommes et des femmes de 18 à 55 ans aux profils variés, pouvant souffrir de simples névroses comme de psychoses plus lourdes (schizophrénie, troubles maniaco-dépressifs…). L’association les aide aussi bien à se maintenir dans l’emploi qu’à élaborer leur projet professionnel après une longue période sans travail, pouvant parfois aller jusqu’à dix ans. De l’ouvrier en usine au mécanicien en passant par le chauffeur livreur ou l’agent administratif, «aucun métier n’est banni», précise Thierry Mustière, chef de service et conseiller d’insertion de l’Uffore. L’accès à des postes d’un niveau supérieur à bac + 2 s’avère en revanche plus compliqué. «Les postes à responsabilités peuvent être très angoissants, poursuit-il. Cela demande beaucoup d’autonomie et de résistance à la pression.»
Le retour vers l’emploi passe parfois par une mise en situation de travail de un à neuf mois, dans un supermarché ou dans un lycée pour l’entretien des espaces verts, sous la houlette de deux moniteurs techniques. Cette période est envisagée comme un sas avant le démarrage d’une formation, ou le retour à l’emploi dans le milieu ordinaire ou le milieu protégé, en entreprise adaptée ou en établissement et service d’aide par le travail (Esat). «Mais parfois, il n’est pas possible que la personne retourne vers l’emploi, indique le chef de service. Cela demande un temps d’acceptation, surtout dans notre société qui valorise beaucoup le travail.»
L’Uffore intervient aussi de manière ponctuelle auprès de salariés en difficulté. «Nous organisons une séance de sensibilisation au sein de l’entreprise quand la personne est au bord de la rupture avec ses collègues, poursuit Thierry Mustière. Il s’agit de mieux faire comprendre les conséquences du handicap.»Récemment, il a soutenu une personne bipolaire, employée au ramassage des tomates. «Ses collègues n’avaient pas du tout conscience que son humeur changeante et sa grande fatigabilité venaient de sa maladie.»
L’emploi d’une personne en situation de handicap psychique peut ainsi nécessiter plusieurs aménagements : horaires de travail réduits, présence d’un tuteur en interne, suppression du téléphone ou d’une machine bruyante si la personne se sent oppressée… «Il ne s’agit pas d’élargir une porte pour faire passer un fauteuil, souligne Thierry Mustière. On ne travaille pas sur de la technique mais de l’humain.»
Matthieu (1), aide cuisinier de 21 ans dans une maison de retraite, bénéficie ainsi d’un emploi du temps adapté. «Le matin, je ne suis jamais seul en cuisine car c’est trop stressant pour moi, confie le jeune homme, qui a été embauché en septembre pour un contrat de trois ans. Mais mon objectif, c’est d’y parvenir petit à petit.» Suivi par un psychologue, il souffre notamment d’une grande anxiété et s’inflige des scarifications. «Aujourd’hui, ma journée ne s’est pas bien passée car j’étais plus lent que d’habitude, raconte-t-il. Je me suis donc blessé au niveau des jambes avec mes clés.»
Ces difficultés n’entament toutefois pas la volonté du jeune homme. «J’adore cuisiner les produits frais et j’apprécie beaucoup le contact avec les résidents,confie-t-il. Travailler me fait du bien.» Avec l’Uffore, il apprend à améliorer sa posture professionnelle. «Il a tendance à trop se livrer à ses collègues et doit davantage faire la différence entre ce qu’on peut dire et ne pas dire en entreprise», note Thierry Mustière.
Quelle que soit la lourdeur de la maladie, ce dernier assiste régulièrement à de belles trajectoires. «J’ai accompagné une femme, agent de sécurité, qui avait “décompensé”, raconte-t-il. Après son hospitalisation, on a retravaillé son projet en fonction des contraintes de sa maladie et testé le métier d’aide-soignante en maison de retraite.» Un pari gagnant, puisque cette personne souffrant de schizophrénie vient de réussir le concours d’aide-soignante et démarre sa formation en septembre.
Olivier Véliotis a lui aussi obtenu son diplôme sur le tard. «L’informatique m’a attiré car c’est une discipline carrée et structurante, confie-t-il. Réparer un ordinateur me guérit !» Si ses années noires restent très présentes dans sa mémoire, il mesure le chemin parcouru. «Même si cela demande beaucoup d’efforts, j’ai concrétisé le rêve de me mettre à mon compte, se félicite-t-il. Cela a pris un peu de temps, mais aujourd’hui, on peut dire que ça va bien…»
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LE HANDICAP PSYCHIQUE, UNE NOTION ENCORE FLOUE
Si le handicap mental résulte le plus souvent de pathologies identifiables (traumatisme, anomalie génétique, accident cérébral), le handicap psychique reste de cause méconnue. Les capacités intellectuelles des personnes concernées sont indemnes, mais c’est la possibilité de les utiliser qui est déficiente.
Le handicap psychique est la conséquence de diverses maladies : les psychoses, et en particulier la schizophrénie, le trouble bipolaire, certains troubles névrotiques comme les troubles obsessionnels compulsifs, la maladie autistique…
La notion de handicap psychique a été retenue dans la loi du 11 février 2005 dite loi sur le handicap. Elle a permis aux personnes malades et à leur entourage de sortir d’une période où la maladie et le handicap n’étaient pas reconnus.