2018...une nouvelle réforme de la formation professionnellle...
Le gouvernement abat ses cartes sur la réforme de la formation professionnelle. La ministre du Travail Muriel Pénicaud a envoyé mercredi matin sa « feuille de route » aux partenaires sociaux, à charge pour eux de dire si oui ou non ils veulent lancer une négociation formelle comme le prévoit la loi Larcher sur le dialogue social. « On a été très précis sur le diagnostic et les objectifs, tout en ménageant des marges de manœuvre sur les points cruciaux », estime la Rue de Grenelle.
L'entourage de Muriel Pénicaud en fait un chantier d'une « importance au moins aussi grande, voire plus importante que le droit du travail pour la compétitivité de notre pays », dans la « bataille des compétences » qui fait rage à l'échelle mondiale. « On veut sortir du déterminisme du diplôme où toute une vie professionnelle est déterminée par le diplôme qu'on a eu de 18 à 25 ans », explique-t-on.
Concrètement, le ministère du Travail compte sur le compte personnel de formation (CPF) créé sous François Hollande pour redonner aux actifs le contrôle sur leur formation. L'accès ne devrait plus nécessiter l'intervention de l'employeur ou même de Pôle emploi pour un chômeur. L'objectif est de simplifier au maximum l'accès à une formation, via un portail électronique (site internet, application smartphone). Actuellement, seule l'ouverture du compte est réellement facile.
Pour y parvenir, le gouvernement demande aux partenaires sociaux de permettre à chaque salarié de connaître facilement ses droits à la formation (ce qui est déjà le cas), mais aussi les postes à pourvoir dans son bassin d'emploi et les formations qui conduisent à ces emplois, leur taux d'insertion, ainsi que les heures et les jours pendant lesquels elles ont lieu. « En 5 clics, il faut pouvoir s'inscrire au Wall Street Institute pour le 1er décembre si vous avez besoin d'apprendre l'anglais sans toucher à votre compte en banque grâce au CPF »; « On veut créer de la liberté en débarrassant les gens de la complexité administrative pour qu'ils puissent beaucoup plus simplement se débrouiller tout seuls », explique-t-on.
Le gouvernement est bien conscient d'un danger : que les salariés, notamment les moins qualifiés, ne parviennent pas à s'emparer de leurs droits à la formation, faute d'accompagnement. Le ministère veut donc développer le conseil en évolution professionnelle (CEP). Créé en 2013, ce dispositif prévoit un accueil individualisé du prétendant à la formation, mais resté largement théorique. « Il faut que les personnes puissent se repérer dans le système, sinon on va les envoyer dans le mur en substituant à l'intermédiation administrative une incapacité à se repérer dans le maquis des organismes de formation », décrypte-t-on de source proche du ministère du Travail.
L'exécutif intime par ailleurs aux partenaires sociaux de fusionner le congé individuel de formation (CIF), qui permet de s'absenter de son poste de travail pour se former avec le CPF au nom de la lisibilité du système pour le salarié. Tout cela en quelques mois après la mise en place de la réforme et pas des années. Ils sont aussi sont fortement incités à ne plus décompter les droits à la formation contenus dans leur CPF en heures. Car une heure de formation d'un niveau élevé vaut beaucoup plus cher qu'une heure de formation d'un niveau moindre. « Sous une apparence d'égalité, c'est très inégalitaire », fait-on valoir. D'autant que le décompte en heures sera de moins en moins adapté avec le développement des formations dématérialisées comme les Mooc. Le CPF pourrait donc être libellé en euros sonnants et trébuchants même si la solution n'est pas écrite noir sur blanc pour ne pas trop restreindre la capacité de négociation de partenaires sociaux.
Le deuxième grand objectif est de mettre le paquet sur la formation des demandeurs d'emploi, notamment via son plan d'investissement en compétences. Au lieu de négocier chaque année les crédits auxquels les chômeurs peuvent prétendre auprès des multiples acteurs du système, le gouvernement impose aux syndicats et au patronat une cotisation de 0,3 % de la masse salariale des entreprises. Cette contribution devrait rapporter autour de 1,5 milliard contre 800 à 900 millions d'euros actuellement. Les partenaires sociaux sont invités à flécher cet argent sur les véritables besoins en compétences des entreprises qui devront développer leur gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par branche et dans les territoires. Les partenaires sociaux sont aussi invités à revoir tout le reste du système de financement de la formation professionnelle aujourd'hui assuré par un prélèvement de 1 % de la masse salariale. Quid de la répartition des fonds entre les organismes existants ? « Elle devra être réglée par la négociation. » « Les tuyaux sont secondaires. Que ça transite par Paul par Jacques, par Pierre, on s'en fiche », insiste l'entourage de Muriel Pénicaud soucieux de ne pas bloquer la négociation dès le départ. Il n'empêche : certains organismes pourraient perdre une partie de leurs financements, comme les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) qui conseillent les employeurs et les salariés et permet le financement des formations jugées nécessaires.
Troisième idée : rendre les entreprises davantage responsables de la formation de leurs salariés. Elles devront mieux garantir leur employabilité en cas de perte d'emploi. Les actions de formation devront être modernisées : elles ne seront plus forcément assimilées à un formateur dans une salle devant un tableau de papier. Les partenaires sociaux devront faire des propositions en ce sens. Sur ce chapitre, le gouvernement veut continuer à assurer une mutualisation des financements de la formation pour permettre aux PME de moins de 11 salariés de former leurs salariés à un coût raisonnable. Il veut augmenter leur taux d'accès à la formation qui reste inférieur à 10 %.
Un autre enjeu de la réforme sera de renforcer la qualité des formations (taux d'insertion, taux de satisfaction des formés). Actuellement, il faut de 4 à 5 ans pour certifier une formation et l'inscrire au répertoire national ouvrant son financement par le CPF. Le gouvernement veut supprimer les listes de formations éligibles au CPF pour donner plus de souplesse aux actifs.
Son dernier objectif est de rénover le système de l'apprentissage. Une concertation dédiée a déjà été ouverte, mais les partenaires sociaux devront tout de même formellement négocier sur le financement du système.
« Aujourd'hui, ce sont les entreprises et les jeunes qui doivent s'adapter », déplore la Rue Grenelle, qui veut au contraire adapter le système aux besoins des entreprises. Le ministère du Travail oriente donc les partenaires sociaux vers un financement « au contrat ». Autrement dit, chaque embauche d'une personne en apprentissage sera automatiquement financée. Le but ? Éviter que des « dizaines de milliers de places » dans les centres de formation des apprentis (CFA), financées, restent vides dans le système actuel. Une orientation qui devrait réjouir le Medef, qui a lui-même fait ce genre de proposition depuis trois ans. Antoine Foucher, aujourd'hui directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, était alors directeur des relations sociales, de l'éducation et de la formation de l'organisation patronale...
Cela devrait signer la fin de la mainmise des régions sur la « carte de formation ». Celles qui décident d'ouvrir et fermer les CFA perdraient alors aussi la part de la taxe d'apprentissage payée par les entreprises qu'elles perçoivent (51 %). Une issue qui devrait déclencher un véritable bras de fer avec le gouvernement tant les régions jugent leur rôle irremplaçable par leur connaissance du terrain.
Les partenaires sociaux doivent maintenant dire q'ils veulent ou non s'engager dans une négociation formelle. Le gouvernement se montre confiant. Ils auront ensuite jusqu'à fin janvier pour présenter les solutions qu'ils retiennent. Le gouvernement pourra alors les reprendre dans son projet de loi prévu pour avril 2018.