Ordonnances Macron : quid des travailleurs handicapés ? Par Stéphanie Ruchaud
En instaurant plusieurs dispositions phares comme le droit au télétravail, le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif ou la modification du compte pénibilité, les ordonnances visant à réformer le Code du travail, signées mi-septembre par Emmanuel Macron, pourraient avoir un impact sur l’emploi et l’insertion des travailleurs handicapés*.
Alors que leur taux de chômage atteint le double de la moyenne nationale (19 %), les acteurs du secteur attendent encore des réformes clés comme le chantier de l’assurance chômage et la révision de la formation professionnelle pour répondre aux problématiques d’insertion.
Droit au télétravail, la souplesse et ses travers
L’instauration d’un droit au télétravail pour l’ensemble des salariés - qui doit encore être ratifié par le Parlement d’ici la fin de l’année - est perçue comme une opportunité pour les travailleurs handicapés. "Ce texte permet de mettre en œuvre le télétravail de manière ponctuelle et pas forcément régulière, sur la base d’un simple accord écrit ou oral entre le salarié et l’employeur", précise Valérie Duez-Ruff, avocate au barreau de Paris. “L’employeur sera désormais tenu d’accepter, sauf contrainte, alors que jusqu’ici, c’était plutôt le contraire”, mentionne Henri Galy, président du Comité pour le droit au travail des handicapés et l’égalité des droits (CDTHED).
Pour autant, des questionnements demeurent sur la manière dont les employeurs pourront s’assurer de l’aptitude et de la santé des travailleurs à domicile : “Il ne faudrait pas que cela leur permette d’éloigner des collaborateurs de l’entreprise ou de se dégager de leurs responsabilités en matière d’accessibilité”, souligne Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH (association des accidentés de la vie).
Une autre disposition, prévoyant de rendre accessible à tous les publics l’ensemble des documents relatifs au Code du travail, pourrait constituer une avancée pour les travailleurs handicapés. Mais Véronique Bustreel craint que la nouvelle mouture du texte, plus juridique, ne se dirige vers une simple numérisation de l’information, en enlevant la notion d’accessibilité à tous les publics.
Le financement de l’Agefiph et du FIPHFP menacés ?
Introduite en 1987, la loi sur l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévoit que les entreprises de plus de 20 salariées embauchent au moins 6 % de travailleurs handicapés, sous peine de reverser une contribution financière aux deux fonds chargés de l’insertion des personnes handicapées, l’Agefiph et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Trente ans plus tard, le nombre de travailleurs handicapés atteint le million, soit un taux d’emploi de 3,3 % dans le secteur privé. Mais cette réalité menace le système, puisque les fonds voient leurs ressources diminuer. En 10 ans, le nombre de sociétés ayant dû s’acquitter de la contribution à l’Agefiph a chuté de 28 %. “Or les besoins permanents en matière de compensation restent forts”, rappelle Didier Eyssartier, directeur général de l’Agefiph.
Même situation dans le secteur public, où la part de travailleurs handicapés est passée entre 2006 et 2016 de 3,7 à 5,3 %. À ce rythme, les réserves du FIPHFP devraient chuter de 53 millions d’euros à 7 millions d’ici trois ans. “Avec les réductions budgétaires au sein des administrations, on fait plus souvent appel à nous pour payer les aménagements de postes de travail, le transport domicile travail”, remarque le directeur du FIPHFP, Marc Desjardins.
Le FIPHFP a donc augmenté la part de cofinancement des aides versées, réduit son programme lié à l’accessibilité des locaux, et limité l’octroi d'aides ponctuelles. Une mission d’enquête de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF) devrait à ce titre fournir des recommandations d’ici la fin de l’année. “Les nouvelles mesures pourraient entrer en vigueur en 2019-2020, après un passage par le Parlement”, estime Marc Desjardins.
Parmi les pistes de réflexions, figurent la révision du niveau de l’obligation d’emploi, ainsi qu’un élargissement des contributions à l’ensemble des employeurs et à l’éducation nationale, ou encore la possibilité que les travailleurs handicapés bénéficient de formations de droit commun.
Contrats aidés : des postes en moins pour les handicapés
En annonçant une diminution du nombre de contrats aidés (de 460 000 en 2016 à environ 200 000 en 2018), le gouvernement serre les cordons de la bourse. “On irait vers des contrats réservés au secteur non marchand et dirigés vers l’urgence sanitaire et médico-sociale", traduit Dorothée Bedok, directrice des relations sociales de Nexem (organisation professionnelle des employeurs associatifs du secteur social, médico-social et sanitaire), qui précise qu’une baisse plus faible qu’annoncée “pourrait être acceptable si elle était accompagnée de dispositifs de formation”.
“Il y aura à la fois un impact dans l’emploi direct des personnes handicapées, mais aussi sur les emplois qui faisaient un lien dans l’économie sociale et solidaire”, prévoit Éric Blanchet, à l’Adapt.
Pour Arnaud de Broca,“ce qui a choqué a surtout été la brutalité de l’annonce”, rappelant qu’aucune solution de remplacement n’a été évoquée. D’autres, comme Didier Roche, à l’Uptih, pointent cependant du doigt des contrats inefficaces : “Je crois davantage aux contrats d’insertion, qui ont un meilleur taux de pérennisation”.
Reste que cette baisse se fera sentir sur un public déjà fragile. Henri Galy, président du CDTHED, rappelle que 10 % des contrats aidés bénéficiaient aux travailleurs handicapés. “Si l’on passe de 320 000 contrats en 2017 à 200 000 en 2018, on perdrait 12 000 emplois pour les travailleurs handicapés”. Lors du dernier Conseil interministériel sur le handicap (CIH), d’autres pistes ont été évoquées, comme l’engagement d’atteindre 6 % d’apprentis handicapés dans la fonction publique. “Mais seuls quelques centaines de travailleurs seront concernées”, avance Henri Galy.
Le gouvernement a annoncé la création de 10 000 contrats de professionnalisation pour les personnes éloignées de l’emploi, qui pourraient bénéficier à des travailleurs handicapés. Dominique Gillot, présidente du CNCPH, regrette toutefois que la réduction du nombre de contrats aidés “ait précédé la réflexion sur la manière dont ces personnes pourraient bénéficier d’un meilleur dispositif”.
* Quelques chiffres : sur un total de 2,7 millions de personnes handicapées âgées de 15 à 64 ans, près de 938 000 sont actuellement en situation d’emploi en France. Le secteur public emploie environ 250 000 personnes, contre 500 000 pour le secteur privé, 130 000 pour le secteur protégé, et 25 000 au sein des entreprises adaptées. 3 322 travailleurs handicapés ont choisi de créer leur entreprise, contre 3 061 en 2013.
A propos de l'auteur :
Stéphanie Ruchaud est Directrice du Cabinet de recrutement spécialisé Gabrielle Marionneau Conseil, et est experte sur le secteur de la Distribution et du Commerce. Elle accompagne les grands groupes dans leur stratégie de recrutement de population Cadres.
Forte d'une expérience avérée dans le secteur du Conseil, elle est également une actrice forte du débat social sur l'accessibilité de tous à l'emploi (jeunes diplômés, seniors, personnes handicapées) à travers la présence de sa marque sur des salons, des forums dédiés et des partenariats associatifs.
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