Une entreprise de bureautique... pas simplement
L’entreprise de bureautique SOTRES
« SOTRES me remet le pied à l’étrier pour rejoindre plus tard une entreprise », témoigne Maud qui a perdu son travail de secrétaire après une « dépression » dont elle souffre encore. Elle est salariée de SOTRES comme 27 autres personnes handicapées par une maladie psychique. Plus de la moitié d’entre elles finissent par trouver un poste de travail en milieu ordinaire
Fondée par des parents de jeunes adultes handicapés par une maladie psychique et des cadres d’entreprise, SOTRES (Sous TRaitance Et Services) 1 propose à ses salariés des travaux de sous-traitance en bureautique (saisie, numérisation, gestion de documents…). Le choix de la bureautique s’est imposé à la création de l’entreprise en 1992, cet outil se retrouve dans tous les secteurs professionnels et permet de développer la capacité d’attention et de concentration. L’entreprise accueille 28 salariés à temps partiel encadrés et accompagnés dans la construction de leur projet socioprofessionnel par quatre permanents et un psychologue clinicien en partenariat avec la Cotorep, le réseau Cap emploi et les structures d’évaluation et d’accompagnement du handicap psychique. Les salariés sous traitement et stabilisées, peuvent choisir de travailler le matin ou l’après-midi. Les contrats d’insertion à durée déterminée durent au maximum deux ans. Actuellement, la durée moyenne de transition s’élève à 11,3 mois.
Les salariés, bénéficiaires de la loi du 10 juillet 1987 (titulaires d’une décision Cotorep ou d’une pension d’invalidité), sont d’anciens étudiants, techniciens, cadres… âgés de 20 à 50 ans, avec un niveau de formation égal ou supérieur au baccalauréat. Les psychologues et assistants sociaux des services hospitaliers, les structures d’évaluation et de placement, la Cotorep, le bouche à oreille, les ont orientés vers SOTRES… « Le service public de l’emploi les oriente plus rarement vers nous, il n’a pas toujours l’expertise pour détecter une maladie psychique » explique Marie de Colbert, la directrice 2 . « La Cotorep oriente parfois les personnes handicapées par une maladie psychique en milieu ordinaire dès qu’elles sont stabilisées. Or, la plupart ont besoin d’une transition dans une structure comme la nôtre », estime Jean-François Coldefy, psychologue clinicien. Il a pour mission de veiller à la cohérence du parcours d’insertion des personnes et n’a pas de fonction soignante au sein de SOTRES. Même si les salariés peuvent venir lui parler s’ils en éprouvent le besoin, il tient à la séparation entre le monde du travail et celui du soin. SOTRES sert donc de passerelle entre des personnes encore fragiles et suivies par un psychiatre en ville et l’entreprise. « Tout le monde a des hauts et des bas, mais pour les salariés de SOTRES il y a encore davantage de bas, précise Maud, « dans une entreprise ordinaire nous aurions souvent été en arrêt maladie et finalement licenciés ».
« La maladie psychique est un handicap qui ne se voit pas. Elle fait très peur aux employeurs. Le comportement des personnes souffrant de ces troubles est souvent déconcertant. Un petit détail anodin peut provoquer une grave crise chez certaines. Ces personnes sont souvent hyperémotives, présentent des comportements décalés ou souffrent d’une grande fatigabilité », explique Marie de Colbert. « Cette forme de handicap peut évoluer avec le temps et l’employeur ne sait pas toujours à quoi s’attendre », ajoute Jean-François Coldefy. Et Maud de renchérir : « Lorsque je cherche un poste, je ne précise pas que je suis travailleur handicapé, l’employeur aurait peur que je sois toujours en arrêt maladie, même si je respecte les prescriptions de mon médecin ».
Pour intégrer SOTRES, le candidat doit d’abord rencontrer Jean-François Coldefy qui évalue si la structure peut répondre à ses attentes, un médecin psychiatre extérieur à SOTRES s’assure ensuite que la personne est bien suivie sur le plan psychiatrique et qu’aucune contre indication médicale s’oppose à son entrée dans un parcours d’insertion. Enfin, Marie de Colbert procède à l’entretien d’embauche proprement dit. L’entreprise SOTRES étant non médicalisée, elle ne détient aucun dossier médical, mais Jean-François Coldefy assure, en cas de besoin et toujours en accord avec le salarié, l’articulation avec le monde du soin. Les personnes accueillies à SOTRES ont pour la plupart un bon niveau d’étude, l’entreprise a déjà accueilli un polytechnicien, des centraliens, des médecins, un architecte, des commerciaux… La maladie (psychose, schizophrénie, dépression…) s’est déclarée tard, souvent après leur vingtième anniversaire. « Ces personnes ont eu le temps de construire un projet professionnel que la maladie est venue casser. Elles vont devoir en construire un nouveau qui n’a souvent rien à voir avec leur formation ou leur expérience. Cela peut-être très douloureux, mais également représenter une réelle opportunité de changer de cap, précise Jean-François Coldefy. On dit que la maladie arrive comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. On ne sait pas vraiment quand elle a commencé, les signes avant coureurs sont passés inaperçus. Elle se déclare dans un moment de fragilité où quelque chose est activé. Les traitements stabilisent les personnes mais leurs effets peuvent être trompeurs, certaines, grâce aux traitements, se sentent aptes à reprendre leur première activité, or c’est rarement le cas ».
SOTRES est une passerelle vers l’emploi appréciée par Philippe. Cet homme d’une trentaine d’années a suivi diverses études : baccalauréat de secrétariat, École du Louvre, fac d’histoire… études qu’il ne menait jamais à terme à cause de ses problèmes de santé : « De la schizophrénie, selon mon psychiatre », dit-il. SOTRES lui a permis de travailler à son rythme. « Au début, poursuit Phillipe, je ne tapais que deux lignes en une heure sur mon clavier, je n’arrivais pas à me concentrer. Les encadrants m’ont laissé tranquille. Aujourd’hui, je saisis mes textes bien plus rapidement ». Un travail qui lui a également redonné de l’assurance. À son arrivée à SOTRES, il y a un an et demi, il ne quittait jamais son blouson et sa capuche lui couvrait le visage. Aujourd’hui, il se sent mieux. « La mémoire et la concentration sont revenues grâce à l’utilisation de l’outil informatique et peut-être aussi après un pèlerinage à Lourdes », plaisante-t-il. « L’utilisation de l’outil informatique permet aussi de retrouver une rigueur », enchaîne Fabrice. Ce jeune adulte n’avait effectué que des petits boulots dont il démissionnait rapidement. Salarié à SOTRES depuis 18 mois, il se sent plus serein : « Nous préparons nos futurs entretiens en entreprise, apprenons à nous présenter… Ce qui ne gomme pas toutes ses inquiétudes : « Comment expliquer les trous dans mon CV ? », ni ses critiques par rapport au trajet d’insertion : « Ce qui me chiffonne c’est que j’ai beaucoup trop de référents d’insertion ». Sophie, qui n’avait qu’une expérience dans le bénévolat reprend confiance en elle : « J’ai appris que je suis capable de faire quelque chose. Dans quelques jours je pars en prestation dans une grande entreprise. Avant, je n’aurais jamais eu le courage d’y aller ».
Dès son entrée à SOTRES, le salarié est incité à réfléchir à un projet professionnel en vue de sa sortie. Les premiers mois constituent une période de prise de repères (respect des horaires, évaluation de la maîtrise de l’outil informatique et de la capacité à travailler en équipe). Progressivement – et durant les heures de travail – des démarches de recherche d’emploi sont mises en œuvre. « Une fois par semaine, un bénévole propose un atelier de technique de recherche d’emploi. Certains salariés souhaitent dès leur entrée répondre à des offres. Pour tout rendez-vous obtenu, je les incite à s’y rendre afin de leur permettre de se tester en situation d’entretien. Plus les personnes avancent dans le temps, plus nous les incitons à entrer dans une logique de démarche de recherche d’emploi », souligne Marie de Colbert. Il peut être proposé aux salariés d’effectuer les travaux de bureautique au sein des entreprises clientes du réseau développé par SOTRES (IBM, EDF-GDF, Aventis, Lafargue, Bull…). À SOTRES ou en prestation extérieure, les exigences sont les mêmes que dans les entreprises ordinaires.
En sortant de SOTRES, plus de la moitié des personnes trouvent un poste en milieu ordinaire de travail. Les autres ne travaillent pas, soit parce que leurs problèmes de santé s’avèrent incompatibles avec un emploi, soit parce qu’elles n’en ont pas trouvé. Dans ce cas, le relais peut être assuré par des structures telles que le Club Arihm 3 qui propose d’autres formes d’aide à l’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques. Les grandes entreprises où les salariés de SOTRES ont effectué des prestations leur proposent-elles des postes ? « C’est déjà arrivé, mais cela reste rare », regrette Jean-François Coldefy « La priorité des Missions handicap des grandes entreprises est de maintenir dans l’emploi leurs propres salariés qui ont des problèmes de santé ou de handicap. Même si les entreprises reconnaissent la compétence de nos salariés, elles ne les embauchent pas. Pour quelques-unes la sous-traitance avec SOTRES permet de se dédouaner en partie de l’embauche obligatoire de 6 % de personnes handicapées ».
SOTRES est financée par la DDTEFP, la DDASS, le conseil général, la mairie de Nanterre et l’AGEFIPH et reçoit le soutien de quelques grandes entreprises (IBM, EDF-GDF). Depuis mars 2004, SOTRES met en place un chantier d’insertion en adjonction à l’entreprise d’insertion. Il propose aux salariés les mêmes activités mais avec un statut différent. Ils sont embauchés en Contrat emploi solidarité. Le projet SOTRES a séduit l’association d’accompagnement des personnes handicapées psychiques « Espoir 54 » 4 qui en a repris le concept, avec un statut juridique différent. SOTRES Lorraine, une entreprise adaptée, devrait ouvrir ses portes dans le courant de l’année 2004.